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Industrie : pourquoi nos mines sont un trésor

Entretien 09 décembre 2020
MI-F - Industrie : pourquoi nos mines sont un trésor

Bien qu’ils soient essentiels à la totalité de nos filières industrielles, les minerais restent mal connus et leur exploitation très souvent contestée. Président de l’organisation professionnelle Minéraux Industriels-France, Franck Evanno rappelle quelques vérités sur un secteur dont la fragilisation chamboulerait notre univers quotidien.
Entretien par Mickaël Fonton (Valeurs Actuelles)


Valeurs actuelles. Pourquoi est-il possible de dire que l'exploitation des minerais constitue « l'industrie des industries » ?

Franck Evanno. C’est vrai sur le plan historique, anthropologique et même philosophique. Depuis l’aube des temps, l’industrie lithique (industrie au sens « d'activité humaine pour produire des objets », et lithique signifiant « de pierre »), a permis de développer les autres industries ou activités humaines. Les chercheurs qui étudient les cultures successives, complexes et variées, des hommes préhistoriques s’appuient d’ailleurs sur l’outillage en pierre et décrivent les différentes périodes en se basant sur les minéraux (silex) – âge de pierre, âge de fer, âge de bronze. Aujourd’hui, la notion d'homo faber fait référence à l'Homme en tant qu'être susceptible de fabriquer des outils. En effet, pour extraire le minéral de la roche, par nos procédés de transformation dits minéralurgiques, on a fabriqué des machines, donc l’industrie des industries est celle des outils, mais en réalité ces outils eux-mêmes viennent des matières premières minérales (acier, fonte, pétrole etc.) Les minéraux alimentent toutes les filières industrielles.


Quels sont les principaux minerais exploités en France ? 

On distingue quatre grandes catégories. Tout d’abord les minéraux pour l’industrie : andalousite, feldspaths, mica, argiles kaoliniques, kaolins, silice, carbonate de calcium, diatomite, bentonite, talc, gypse, etc. Ensuite les pierres ornementales : granites, calcaires, grès, marbres, schistes, laves, gneiss, quartzite, ardoise. Il s’agit essentiellement de pierres que l’on taille, pour le patrimoine architectural ou funéraire. Les granulats, ensuite : sables et graviers pour le BTP. Il s’agit de loin de la plus forte production. Enfin les substances de mines non énergétiques : métaux, métaux précieux, sel, terres rares… Quatre substances sont actuellement exploitées en métropole : le sel, les calcaires bitumineux et la bauxite. Un concentré d'étain, de tantale et de niobium est valorisé en tant que co-produit d'une carrière de kaolin. Enfin, l’or est exploité en Guyane ainsi que le nickel et le cobalt en Nouvelle-Calédonie.


Quels sites remarquables mettriez-vous en avant ?

Il y en a beaucoup mais pour n’en citer que deux, je prendrais Glomel, dans les Côtes d’Armor, second gisement mondial d’andalousite, avec soixante mille tonnes par an. Ou Luzenac, dans les Pyrénées ariégeoises, où se trouve le gisement de talc le plus important au monde. Ces sites devraient être connus et ne le sont pas assez. Qui sait seulement que la France produit 80% de la production européenne de diatomite ?

Leurs propriétés naturelles en font d’excellents supports de filtration pour les huiles, les vins, les bières, le plasma sanguin, l’eau et de nombreux autres liquides.


A quoi servent ces minerais ?

L’Andalousite est le constituant essentiel des briques pleines ou isolantes et des pâtes réfractaires, du fait de sa résistance mécanique, chimique et thermique et son faible coefficient d'expansion. Ces produits sont utilisés en grandes quantités, surtout en sidérurgie, aciérie et fonderie mais aussi en cimenterie, verrerie, céramique… Quant à la diatomite, elle est issue, comme son nom l’indique, des fossiles de diatomées, qui sont des algues microscopiques ; c’est un minéral naturel et polyvalent utilisé pour de multiples applications, allant des cosmétiques à la filtration. Leurs propriétés naturelles, et leur carapace très fines rigides et percées d’une myriade de micropores, une structure de « tamis », en font d’excellents supports de filtration pour les huiles, les vins, les bières, le plasma sanguin, l’eau et de nombreux autres liquides. Les diatomites sont aussi employées comme charge minérale dans les peintures, les papiers, les plastiques, et comme abrasif doux pour le polissage. Ses propriétés absorbantes lui confèrent en outre des usages dans le domaine du nettoyage et du dégraissage industriels.


Vous insistez sur les qualités « environnementales » de cette industrie... A priori, c'est un peu contre-intuitif, non ?

Depuis 1976 notre profession est sensibilisée sur ce sujet via la loi de protection de la nature. Il est très important d’insister sur le fait que les carriers sont des pionniers en matière d’environnement. Leur activité est située essentiellement dans des milieux naturels et dans des endroits isolés… Des conditions qui les rendent encore plus sensibles à ce qui se passe autour d’eux. On distingue plusieurs étapes autour de l’exploitation d’un site, avant, pendant et après. A chaque moment, la conscience environnementale est présente. Par exemple, pendant l’activité d’exploitation, certaines carrières sont un lieux de refuge d’espèces migratoires comme le guêpiers d’Europe ou l’Hirondelle des rivages ; à la fin de cette activité, certaines carrières deviennent des hauts lieu de la biodiversité, par exemple, le site d’argiles kaoliniques de Montpothier dans l’Aube, géré par le conservatoires des espaces naturels de Champagne Ardennes est en passe de devenir un APB (l’arrêté de protection de biotope est un arrêté pris par un préfet pour protéger un habitat naturel abritant une ou plusieurs espèces animales et/ou végétales sauvages et protégées). Christian Lévêque, un grand écologue français, a réfléchi sur toutes ces questions et démontré que les carrières aménagées permettent de protéger la biodiversité.

Les consommateurs ne jugent souvent que les produits finaux sans imaginer comment ils ont pu être fabriqués.


Vous pensez qu'il est urgent de vous faire comprendre des médias et de la société ; de quoi procède cette prise de conscience ?

Il est de plus en plus difficile d’ouvrir un site en France. Tout d’abord, très souvent cela pose un problème au niveau local, où on veut de l’activité économique mais on ne comprend pas qu’il faut modifier le terrain et extraire de la roche (il y a un vrai effet NIMBY, « pas dans mon jardin »). Ensuite, il faut insister sur le fait qu’on subit la concurrence internationale. Aujourd’hui, il est plus que jamais essentiel de protéger les gisements de l’urbanisation grâce au classement notamment en gisements d’intérêt national et régional (Schéma régional des carrières) et aussi par le dialogue. Les consommateurs ne jugent souvent que les produits finaux sans imaginer comment ils ont pu être fabriqués. Or ce secteur est fascinant, il fabrique des produits naturels de l’ordre du micromètre qui permettent le confort et la santé de tous, du matin au soir, de l’eau potable (silice diatomite, carbonate de calcium etc.) au dentifrice, en passant par votre évier (la céramique sanitaire est composée de kaolin, feldspath et silice), votre ordinateur, votre radiateur, etc. On pourrait multiplier les exemples à l’infini. Malgré cela les acteurs territoriaux ne souhaitent pas d’une extraction chez eux même si elle est temporaire. Ils n’y voient souvent que des externalités négatives alors qu’en vérité une carrière permet de faire des découvertes archéologiques et paléontologiques, elle est un refuge qui offre de la tranquillité pour de nombreuses espèces naturelles, permet de nouveaux biotopes, permet de découvrir la géodiversité, etc. Mais notre métier est mal connu et les a priori persistent. Les médias ont donc un rôle formidable à jouer.


De manière générale, pensez-vous que le monde de l'industrie est incompris en France ?

Comme on l’a vu lors du premier confinement, les Français ont découvert que certaines industries avaient totalement quitté le territoire. Ils ont alors pris conscience d’un manque et d’une dépendance. Cette épreuve a démontré que nos compatriotes tenaient à leur industrie et c’est à mon avis le signe d’un début de prise de conscience. Il n’en reste pas moins qu’une certaine image d’Epinal règne et, de la même manière que l’opinion générale est coupée du monde agricole, elle est également coupée du monde industriel et a souvent de gros a priori qui ne reflètent en rien la réalité. Je reste optimiste : selon moi, il n’y a pas un gros travail à faire ; puisque les Français sont fiers de leurs savoir-faire industriels, il convient juste de leur expliquer que tout cela est dans la nature des choses et que cela apporte une valeur ajoutée considérable à l’économie de notre pays tout en respectant l’environnement. En France, les normes sociales et environnementales sont élevées mais personne ne le sait. Soulignons enfin le paradoxe entre les milieux ouverts (par exemple une carrière à ciel ouvert) et les milieux fermés (une usine bien bardée). On se plaint des premiers parce qu’on y voit l’activité, on suspecte les seconds de vouloir nous cacher quelque chose. Afin de couper court à toute rumeur, il est essentiel de créer des points de contact entre le public et les industriels. C’est dans ce cadre que nous organisons chaque année les « European Mineral Days », des journées porte-ouverte pour faire découvrir les carrières et les usines au public.

Sans nous, pas de bouteilles de vin et de champagne, pas d’écran de téléphone portable, pas de pharmacie, d’agroalimentaire, pas de parebrise, de moteurs ou de béton…


On a beaucoup évoqué, durant la crise sanitaire, la nécessité de rapatrier chez nous certaines filières industrielles ; croyez-vous la chose possible et à quelles conditions ?

La question de la relocalisation devrait se poser en amont : quel sens cela a-t-il de produire telle ou telle activité ici ? Dans le cas des minéraux industriels, le problème de la délocalisation parait absurde : imagine-t-on importer de la diatomite alors que nous disposons du plus gros gisement ici ? La logique voudrait que nous exploitions les minéraux dont nous disposons sur notre territoire. Et pourtant certaines exploitations ont dû fermer faute de compétitivité. Tout ce que l’on demande au gouvernement c’est qu’il nous facilite la tâche et ne nuise pas à la compétitivité de notre industrie, car c’est la seule menace à laquelle nous sommes confrontés. Il fut un moment par exemple où l’on parlait de supprimer un taux réduit sur le gazole non routier, une mesure que nos entreprises auraient forcément dû reporter sur leurs tarifs. Le gouvernement a pris conscience des conséquences et a épargné notre secteur. La concurrence internationale est très forte (Chine, Turquie, Ukraine, Slovénie etc.). C’est ainsi que le feldspath, par exemple, utile à la fabrique du carrelage, des assiettes, des lavabos se trouve particulièrement concurrencé par la production turque qui arrive en Espagne.


Fulchiron, où vous avez fait l'essentiel de votre carrière, fête ses 100 ans cette année. Que pouvez-vous nous dire de cette entreprise ?

L’entreprise est née en 1920 sous l’impulsion de Pierre Fulchiron et messieurs Souchon et Neuvesel alors fondateur de l’entreprise BSN, entreprise française, historiquement fabricante de verre, puis diversifiée dans l'agroalimentaire (qui donnera notamment le groupe Danone). La famille Fulchiron, avec l’arrivée de Jean Fulchiron à la tête du groupe, a racheté les parts entre 1963 et 1974 et a débuté un développement et une expansion territoriale. Jean restera à la tête de l’entreprise jusqu’à fin 2018. Comme il aime à le rappeler, « nous produisions 10 000 tonnes de sable de silice par an alors qu’aujourd’hui nous produisons plus de 10 000 tonnes par jour ». Notre entreprise française, avec son savoir-faire dans le domaine des silices industrielles, est implantée dans tout l’hexagone. Nous produisons annuellement plus de deux millions de tonnes de silice pour l’industrie, tout en respectant l’environnement, la biodiversité et les Hommes. Nous faisons partie de ces entreprises invisibles mais sans qui le monde ne serait pas le même. Sans nous, pas de bouteilles de vin et de champagne, pas d’écran de téléphone portable, pas de pharmacie, d’agroalimentaire, pas de pare-brise, de moteurs ou de béton… Malgré la crise sanitaire que nous traversons, les hommes et les femmes de notre entreprise mais également des entreprises productrices de minéraux industriels œuvrent tous les jours pour notre pays puisse continuer à vivre.