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[Avis d'expert] Penser le bon sens de France Relance, au travers des minéraux industriels

Article 23 décembre 2020
MI-F - [Avis d'expert] Penser le bon sens de France Relance, au travers des minéraux industriels

Tribune publié sur Usine Nouvelle le 19/12/2020 À 17H46

Franck Evanno, président de la filière Minéraux Industriels France et directeur de l’entreprise Fulchiron, appelle à soutenir les filières françaises historiques - notamment les productions exclusives - et à inscrire les projets de relocalisation dans le tissu industriel existant.

L’encre n’était pas encore sèche au bas des propositions France Relance,que le Premier Ministre Jean Castex se voyait dans l’obligation de re-confiner. Un temps mort qui nous permet de revenir sur la substance de ce plan, décrit par le Président Macron comme « un projet dans lequel nous voulons projeter le pays pour plus d’indépendance, et donc les relocalisations, pour bâtir un modèle d’avenir fondé sur le savoir, sur l’écologie, et la transition écologique » - et d’essayer de confronter les intentions à la réalité du terrain de la filière des minerais industriels.

RELOCALISONS EN PENSANT « FILIÈRES INDUSTRIELLES »

Lancé fin juillet 2020, ce plan à plus de 470 milliards d’euros veut protéger les entreprises et les salariés. A l’origine, on trouve la pandémie de Covid-19 puis une prise de conscience douloureuse : notre pays n’est plus indépendant au plan industriel. La dure réalité s’est faite ressentir quand on a réalisé que les masques, produits de première nécessité dans le cadre de la pandémie, provenaient de filières dont les usines étaient localisées à l’étranger. Ce manque fut cruel également pour les médicaments ou le matériel médical. Mais il ne fallait pas être grand stratège pour extrapoler cette situation et réaliser l’embarras que pourrait nous causer cette dépendance dans d’autres circonstances.

En réfléchissant à une stratégie industrielle, il est donc apparu comme évident qu’il fallait relocaliser certaines entreprises. Une tendance qui semble faire fureur puisque le gouvernement aurait déjà reçu « 3600 projets de financement d’une ligne de production en France ».

Restons vigilants toutefois : il ne faudrait pas que ce phénomène éclipse les problèmes des filières encore présentes et qui, du fait des difficultés rencontrées, sont parfois obligées de délocaliser. Ensuite, il faut que cette « re-localisation » fasse sens et obéisse à une logique : celle d’une insertion dans le tissu industriel existant. Les entreprises qui reviennent doivent pouvoir accéder facilement à la matière première pour alimenter leur chaîne de production. Si, par exemple, on veut fabriquer certains médicaments en France, il faut que les industries relocalisées puissent disposer du minerai qui leur permettra de confectionner des flacons. Heureusement nous produisons encore de la silice dans nos régions, ainsi que de nombreux autres minéraux industriels... Les « relocalisations », pour faire sens, doivent tenir compte de la situation des filières industrielles déjà présentes.

INNOVATIONS ET SAVOIR-FAIRE UNIQUES ET HISTORIQUES

Comme chaque plan, France Relance se projette dans l’avenir et il y est question d’innovation et d’entreprise de demain. Ici on vise l’horizon 2030. Rien n’est plus complexe que sélectionner les entreprises innovantes, et très souvent les « planificateurs » obéissent à des effets de modes qui séduisent les médias. On cite souvent en exemple les entreprises de la French Tech qui étaient 420 au CES de Las Vegas en 2019, chiffre qui a diminué de moitié l’année suivante.

La vraie question qui se pose aux planificateurs de France Relance est comment faire pour bien identifier les vraies filières innovantes et ne pas se laisser prendre par un miroir aux alouettes. Au sein de notre filière Minéraux Industriels, on peut distinguer trois niveaux. Tout d’abord, l’innovation disruptive, dont l’objectif est de créer de nouveaux produits en s’adaptant aux marchés de ses clients : par exemple en améliorant les composants des pièces automobiles ou encore en remplaçant par des minéraux naturels les produits chimiques dans l’industrie cosmétique.

5 Pour bien innover comprendre les marchés
https://www.youtube.com/watch?v=ajQFmrjI3kI

Ensuite, il y a une forme d’innovation qui consiste en une amélioration permanente des process industriels. Si on prend l’exemple d’une roche naturelle comme le talc, son tri qui se faisait jadis manuellement se fait désormais par le biais de caméras qui sont capables de trier plus de 2500 particules par seconde, à l’usine d’extraction de Luzenac.

3 Extraire Transformer et Innover
https://www.youtube.com/watch?v=HIVtPUwAngU

Enfin, il semble important qu’un plan comme France Relance valorise les savoir-faire historiques de nos filières industrielles qui sont des exclusivités mondiales. On pense notamment à l’exploitation de certains minéraux industriels quasiment uniques au monde, comme la carrière d’andalousite de Glomel en Bretagne.

VERDISSONS NOS ENTREPRISES EN NOUS FONDANT SUR LA SCIENCE

La transition écologique est sans doute le principal pilier de France Relance. Si on peut se réjouir de ce dernier point essentiel, il convient toutefois d’être attentif à la définition que l’on donne de cette notion. En effet, il existe une forme d’écologie punitive dont découlent des décisions qui ont pour conséquence d’arrêter toute activité humaine, voire de la rendre plus difficile à pratiquer. C’est ainsi que notre pays s’est peu à peu retrouvé avec des lois très strictes dans toute une série de domaines. Par exemple, notre Code de l’environnement est l’un des plus sévères au monde. Ceci a forcément des conséquences sur les capacités de production de nos entreprises qui finissent par... délocaliser - or, on a déjà vu que l’objectif était de relocaliser.

Il conviendrait donc que les politiques appuient leurs décisions sur des arguments qui relèvent de l’écologie scientifique et non d’idéologies. Ainsi, dans le cadre des carrières, par exemple, à la suite de campagnes répétées de certaines ONG et associations, le public est persuadé qu’il s’agit de nuisances à l’environnement et à la biodiversité. Alors que, tout au contraire, ces travaux se font dans le plus strict respect de l’eau, de l’air et des sols et contribuent souvent à la diversité du vivant : ainsi certaines carrières deviennent des lieux de refuges pour des espèces migratoires (guêpier d’Europe, ou encore hirondelle des rivages, crapaud calamite) et à la fin de leur vie redeviennent des hauts lieux de nature.

On ajoutera que si France Relance s’intéresse aux vraies problématiques écologiques, il n’a pas vraiment pris en compte la difficulté de préparer des dossiers aussi techniques (décarbonation, innovation etc.) de demande d’investissement sur les usines dans un délai très contraint (deux mois pour déposer à l’Ademe ou à la DGE). Ce secteur des roches et minéraux cumule les deux attentes principales : une gestion durable de la ressource et une contribution à la biodiversité tout en permettant d’appuyer et de promettre une partie de la relance des filières industrielles françaises.

Profitons de la fin de ce deuxième confinement pour bien mettre la copie de France Relance en adéquation avec les attentes du terrain, sans oublier au passage de la rendre accessible au plus grand nombre, y compris les TPE-PME qui ne disposent pas forcément des équipes pour ces tâches administratives parfois lourdes et compliquées. C’est en remplissant toutes ces conditions que l’on pourra donner tout le sens que l’on est en droit d’attendre de ce plan et qu’en retour il sera en mesure de délivrer ses promesses.

Franck Evanno, président de la filière Minéraux Industriels France et directeur de Fulchiron